Carthage et l’Iraq
Les rapports qui s’étaient établis entre Romains et Carthaginois à partir du troisième siècle av.JC, sont semblables à ceux actuels entre USA et Iraq dans le contexte du Monde. Après avoir colonisé Carthage et établi son hégémonie sur le pays des Barcides (reprise de la Sicile), Rome entreprit sans motifs apparents la destruction de Carthage (de 264 à 146 av.JC). Delenda est Carthago ! Et ce malgré les objurgations des Scipions. Caton l’ancien, le censeur, dominait de la voix les armées et le peuple romain. Il terminait tous ses discours par : Ceterum, censeo Carthaginem esse delendam (« D’ailleurs, je pense qu’il faut détruire Carthage ») et trois ans après la destruction il peut mourir en paix à l’âge de 85 ans ; il a convaincu, il a réussi, il a fait son devoir.
George W. BUSH dit haut et fort : Delenda Iraq ! et Tony BLAIR : Ceterum, censeo Iraq esse delendam. Le nouveau Caton bicéphale à qui il manque la dimension morale règne sur le Monde d’une façon plus impériale.
Les Barcides avec Hamilcar Barca (la foudre) puis Hannibal, son fils (218,217,216 av.jc.) avaient tenté une excursion pour faire une démonstration de leur puissance en territoire latin mais ils se heurtèrent en vain à cette puissante République Italique qui nourrissait l’ambition de devenir le Maître du Monde antique. Tite-Live relate la mort d’Hannibal qui s’était réfugié à la cours de Prusias, roi de Bithynie ; les romains vouant une haine implacable à Hannibal qui avait osé les défier firent pressions sur Prusias pour faire assassiner leur hôte mais Hannibal sauva son honneur en s’empoisonnant ( 183 av.jc.) (Liv. XXXIX, Ch.51)
Mais dans le temps, les enjeux sont différents ; pour les romains il fallait briser la concurrence d’un royaume dit barbare qui aurait pu compromettre leur expansion et leur ambition de domination du Monde qu’ils avaient à civiliser ; pour les USA le Monde est à conquérir dans tous les domaines en imposant leurs produits et leurs modes, et surtout en contrôlant les économies des pays industrialisés et ceux peu industrialisés, mais producteurs de pétrole. Toute proportion gardée, la puissance des deux Empires est comparable au moment de leur position belligérante. l’Empire romain a commis des erreurs et s’est effondré, l’Empire US commet des erreurs mais ne s’est pas encore effondré.
Le « Monde Arabe » se sentant menacé dans son intégrité par l’influence de plus en plus pressante des USA dans les domaines politiques, culturels et économiques, décide de réagir par la violence terroriste. La seule arme dont dispose ces pays face au monstre de technique hérissé dans toutes les directions, pour frapper et détruire massivement. La longue préparation des troupes d’Al qaïda avec comme application quelques attentats , ça et là, sous tendue par l’impressionnante personnalité de Ben Laden, a abouti à la destruction des deux tours du World Trade Center ; exploit, certes remarquables, mais semant l’horreur chez l’adversaire. Le mal, pour les occidentaux, est fait le 11 septembre 2001, et tout change dans le Monde. Bali dans le contexte indonésien, les Philippines, le Koweit et le commando tchétchènes à Moscou ; les islamistes frappent partout, surprennent et stupéfient toujours. Les nations occidentales prennent conscience brutalement de leur vulnérabilité malgré leur nouvelle « Ligne Maginot », faite de missiles, de radars et de satellites, qu’ils croyaient l’égide la plus efficace. La bombe atomique ne dissuade plus les peuples belliqueux. Le gros revolver, porté en garniture à la ceinture par les forces dites de l’Ordre, ne dissuade plus les voyous.
Pour établir la PAX AMERICA dans les pays dits barbares, certes, il faut sortir de ses frontières, alors que dans les pays dits civilisés il suffit de l’envoi d’un fax ou d’un message électronique, voire d’un coup de téléphone, et tout est réglé. Sortir de son territoire pour aller guerroyer au loin en pays arabe et lancer quelque nouveau pipe-line est une manifestation hégémonique, non sans danger ; les USA sont minés de l’intérieur par le nombre grandissant d’immigrés islamistes, entre autres ; c’est une véritable force qui se constitue au fil des ans, capable de faire imploser le pays tout entier et de le ruiner; comme Rome fut détruite par sa propre synergie.
La PAX ROMANA, elle, s’était établie par la guerre incessante, tandis que la conquête territoriale agrégeait peu à peu les contrées à la Rome lointaine. Ainsi l’Empereur Auguste, le premier Dies Imperii en 27 av.J.-C., lançait ses ordres par-delà la Manche en Bretagne, par-delà la Méditerranée en Afrique du Nord, par-delà la Mer Noire en Ibérie, et de la Lusitanie au Cappadoce. L’aigle romain planait en permanence sur le Monde occidental et oriental, sur un peu plus de cinquante millions de sujets répartis dans cinquante-quatre provinces.
Actuellement l’aigle d’acier américain règne sur la planète Terre ; hors de l’atmosphère , il scrute les continents de ses yeux électroniques et surveille ses proies.
La surprise des Grecs, quand ils s’aperçurent que la guerre entre Rome et Carthage avait scellé leur destin, est comparable à celle des Européens et des Américains devant le réveil du Tiers Monde à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En ce début du XXIè siècle les processus s’accélèrent à des vitesses que le monde antique ne connaissait pas. Il avait fallu trois guerres et cent dix huit ans pour venir à bout des carthaginois alors que les USA en quelques mois, en 1991, matent ceux qui avaient osé reprendre le Koweït en 1990.
Toutes les Nations occidentales et assimilées qui se retranchent derrière des régimes dits démocratiques se laissent, en réalité, manipuler par quelques hommes qui une fois au pouvoir deviennent de vrais tyrans. Ainsi George W Bush fait fi de toute autorité planétaire (ONU), de l’opinion publique américaine et des avis de la majorité des grandes puissances mondiales ; il déclare personnellement la guerre à l’Iraq, ou à tout autre pays censé gêner sa politique hégémonique, ou censés constituer une menace pour sa personne ; seul lui peut définir l’Axe du Mal. Les représailles injustifiées sous forme de bombardements sont subies en permanence par l’Iraq. Les USA semblent ignorés qu’il y a d’autres civilisations dans le monde, comme voulaient l’ignorer les romains. C’est ce qui perd, en définitive dans le temps, les grands empires. Les incitations à la guerre sont faites par des irresponsables qui veulent démontrer que leur façon de penser, de manger, d’organiser leur peuple est la meilleure des conceptions idéologiques. S’il y a choc de civilisations et un recours à la guerre pour laminer les plus faibles, il y aura immanquablement un effet boomerang en retour, une onde de choc qui fera imploser ces mêmes grands états qui contiennent en gestation des communautés porteuses de pensée autre ; celles-ci s’accroissent plus vite, en prenant de plus en plus d’espace pour s’épanouir et deviendront inéluctablement majoritaires. L’Europe vieillissante n’échappera pas à ces effets ; déjà la France, terre d’accueil de tous les peuples du Monde, sera dans quelques décennies dominée naturellement par le nombre « des autres », d’identité et de pensée non occidentales. Tout le monde semble l’ignorer ou refoule cet état de fait. Les romains, eux aussi, refusaient de croire que d’autres peuples les envahiraient et changeraient fondamentalement leur civilisation pour en imposer une autre . Au lieu de choisir la paix et la négociation pour le changement, ils choisirent la guerre barbare et inhumaine, où tous les instincts animaux réapparaissent, ivres de conquêtes et d’expansion. Et pour quelques couronnes de laurier qui feraient la gloire des généraux et un passage sous l’arc de triomphe, ils traînèrent derrière les cohortes des vainqueurs, les morts et les vaincus. Les portes du temple de Janus restèrent longtemps ouvertes. On ne tressa plus de couronnes d’olivier aux sages philosophes qui se terraient dans le temple de la Vérité.
Mais les peuples et leurs dirigeants reviennent rarement sur l’origine du peuplement et de la formation de leur pays ; ce qui leur serait utile et précieux pour comprendre toute évolution et reconstruire leur avenir. Les conflits ne font qu’entraver momentanément les processus naturels de changement et de mutation de tout peuple, dans les limites géographiques qu’il s’est donné au fil des siècles. Les carthaginois qui eux aussi voulaient jouer un rôle paritaire en Méditerranée -ce qui aurait enrichi ce Monde- se sont fait digérer par les romains qui plus tard, eux aussi, se sont fait laminer par les envahisseurs arabes venus du désert avec armes, bagages et religion ; lors de l’avènement de l’Islam au septième siècle. Un clivage remarquable s’est opéré, alors, entre les deux bords de la Méditerranée, entre le Nord et le Sud.
Actuellement, le Monde se coupe en quatre et les parties s’opposent alternativement. Un Grand Maître préside à ces jeux dont les gagnants et les perdants récoltent à la fin le jackpot en dollars. Deux millénaires et deux cents ans pour qu’autour du Monde le serpent venu du fond des temps brise dans ses anneaux des peuples entiers, désertifiant sous ses écailles horribles des contrées riches de vie autrefois, et maintenant livrées à la famine et la misère. Le serpent se mord la queue et l’histoire des hommes repart pour un nouveau cycle ; nous savons que la sagesse dort dans nos livres sacrés et que ceux qui les ouvrent et les lisent à haute voix sont rarement entendus. C’est l’Histoire des peuples avec toutes ses misères et son cortège d’horreurs qu’il faut enseigner aux enfants terriens, pour leur faire prendre conscience qu’ils font et qu’ils feront l’Histoire à leur tour. Notre complaisance à vouloir donner, de tout temps, des auréoles à certains hommes en occultant leur réelle nature, nous a conduit à créer de faux petits dieux au ras de terre ; mais il en est qui furent Grands par leurs qualités humaines et leur compréhension de toute chose de ce monde, sans être des dieux. Certes ! La foule doit être gouvernée par le plus fort et le plus sage des hommes, mais c’est la foule, elle seule, qui doit le choisir et l’accepter comme guide. Apprenons donc à notre enfant à discerner le bon du mauvais, le vrai du faux, l’apparence de la réalité, pour éveiller son intelligence et pour devenir, face au soleil qui se lève aujourd’hui, l’humain qu’il souhaiterait Être.