Textes

Epitaphe

By 4 janvier 2021 janvier 27th, 2021 No Comments

Toute ma vie, j’ai mangé du papier.

J’ai lu sur tous les papiers du Monde. J’ai acheté mon beefsteak enveloppé de papier fort et aussi des cacahuètes dans des cornets de journaux jaunis. Mon premier avion a été de papier et ma première cocotte aussi, car les autres …

Ma connaissance, mes premiers vers, mon amour et mon bulletin de Naissance, tout a commencé sur du papier.

Pour que ma vie ne soit pas un morceau de papier que l’on jette comme un vieux chiffon … .Mon cerf volant de papier a fait monter mon rêve si haut, que je suis retombé sur terre avec lui dans une chute fracassante.

Je suis malheureux sans mes chers journaux et mon papier hygiénique quotidiens. Je dîne sagement sur une nappe de papier gaufré, tout en essuyant furtivement ma bouche d’un mouchoir-serviette de papier cloqué ; et quand arrive l’addition sur cette feuille pliée pudiquement, je sors promptement de ma poche ces billets sans lesquels rien ne bouge, car si je suis ce que je suis je le dois à ces papiers infâmes ; en Amérique les rêves sont verts comme l’espérance ; l’Art, les femmes, les voitures, la maison, le Mariage et le Divorce s’achètent ou se vendent contre quelques dollars.

Le meilleur des contrats se déchire à la fin, et les meilleurs livres ont péri dans le déluge Universel.

Cimetières de manuscrits, d’imprimés, montagnes d’écrits, de pensées ; esprits des Morts gisants empilés aux Archives poussiéreuses ; passé de l’humanité. Papiers gras froissés, assiettes de pique-nique symbole de l’opulence, déchets du prêt à jouir de la Grande Civilisation.

Avez-vous un morceau de papier ? que je prenne votre adresse, votre nom, je vous honorerai plus tard sur du papier ministre. Missive toute de papier vêtue et décorée d’un timbre , prix postal pour une pensée qui sera revêtue par ma belle aux doigts délicats. Papier buvard tout maculé de l’encre d’un Bavard. Étiquettes de papier millésimées sur les grands crus qui ont fait l’enchantement de mon palais, et celles que j’ai collées sur mes cahiers d’écolier, années merveilleuses de mon Enfance.

Calculer mon destin sur un rouleau de papier machine. Ce sont les jours de grand vent que l’on retient à pleines mains les papiers. Quand je serai mort on m’enveloppera dans un linceul de papier et l’on me jettera à la décharge publique, j’aurais pris soin, avant, de coucher sur un dernier papier mon Testament Philosophique.

Confetti d’un bal masqué qu’on retrouve dans son lit, ultimes témoins d’une merveilleuse soirée ; et la mine de papier mâché au réveil.

Tous ces écrits frivoles qui sur ces papiers s’envolent. Ah ! Ces parfums qu’on offre dans du papier fleuri ; comme pour un jour s’offrir, cette Dame m’a donné son sourire puis m’a glissé furtivement un mot écrit sur la petite feuille de son carnet : Voulez-vous avec moi danser ce tango ? Il me reste d’Elle cette photo de papier ;couleurs qui pâliront avec le temps dans un album de souvenirs fanés, comme après avoir grésillé dans le feu ardent d’une cigarette, il ne reste qu’une légère fumée qui imprègne encore pour un temps l’Air de ma chambre, comme un fantôme qui partira au petit jour, dans un Matin de Lumière Triomphante.